Les vrais héros sont toujours anonymes, dit-on. C’est le cas de Sam. Au sein de la Communauté, seul Aragorn semble s’apercevoir de son existence. Si Boromir s’est attaché à Merry et Pippin, tous les autres n’en ont que pour Frodon, le Porteur de l’Anneau. Bon c’est vrai, sa mission représente un terrible enjeu pour tous les peuples de la Terre du Milieu. Et porter l’anneau de pouvoir n’est pas une mince affaire. C’est entendu. N’empêche que, comme Frodon lui-même le reconnaît dans un moment de lucidité, il ne serait pas allé très loin sans le dévouement de Sam.

 Gandalf lui-même, lorsqu’Aragorn lui fait remarquer que Frodon n’est pas parti seul puisque Sam est avec lui se contente d’un :

- Ah, vraiment ? C’est bien !

quelque peu distrait, comme s’il considérait ce détail comme particulièrement insignifiant.

 Quand il est question de la mission en cours, c’est Frodon que l’on évoque, et lui uniquement. Quand on parle des dangers qui parsèment sa route, ce n’est qu’à lui que l’on pense : « Frodon est-il encore en vie ? Frodon est passé au-delà de ma vision, Frodon, Frodon, Frodon… »

 Pendant ce temps-là, celui qui tant préoccupe tout ce beau monde s’achemine vers les portes de la folie, possédé chaque jour davantage par le pouvoir de l’anneau unique et les mensonges de Gollum.

 Or, tandis qu’il trébuche sur le chemin du Mordor, qui est-ce qui porte les bagages, s’occupe du feu, de la cuisine, de l’intendance ?

 Qui est-ce qui surveille Gollum sans relâche, protégeant ainsi l’anneau de sa convoitise ?

 Qui est-ce qui soutien les pas de plus en plus chancelants dudit Frodon, jusqu’à finir par le porter, qui l’arrache aux pattes d’Arachné et à la Tour Noire où il est prisonnier des Orcs ?

 Hein, qui ?

 Je ne vous le fais pas dire !

 Et pour quel remerciement ? Des paroles dures, des accusations d’autant plus blessantes qu’elles sont totalement injustes et, par trois fois au moins, se voir planté là comme un vieux soulier dont on ne veut plus !

 Croyez-vous qu’il ait de la patience, ce garçon là ? Aucune épreuve ni aucune rebuffade ne pourront entamer sa résolution ni changer les sentiments d’affection qu’il éprouve pour son compagnon.

 Mais la cerise sur le gâteau, c’est le retour à Minas Tirith : les membres de la Communauté se précipitent au chevet de Frodon, l’entourent, le congratulent… sans même un regard pour Sam, seul à l’écart.

 Pensez-vous que tant d’injustice va le révolter ? Absolument pas : aussi modeste que dévoué, Sam se contente d’adresser à son ami son plus doux sourire, chargé de toute son affection, en retour au regard de gratitude qui lui est –quand même- dédié.

Certes, on peut penser que Sam a eu le temps de retrouver ses compagnons plus tôt, avec toutes les effusions voulues, mais quand même.

 Solide comme un roc et immuablement loyal, Sam est un être au cœur pur : lui-même n’éprouve pas le sentiment de se conduire en héros, son seul souci tout au long de l’aventure est d’alléger au mieux le fardeau de son compagnon et de demeurer à ses côtés pour le soutenir.

 Ainsi tiendra-t-il la promesse qu’il a faite à Gandalf au départ de l’aventure.